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  ENS Lettres et sciences humaines Communication culture et société


L’immersion comme nouveau mode de médiation au musée des Sciences. Étude de cas : la présentation du changement climatique

Florence BELAËN
CRCMD, université de Dijon

 


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Mots-clés : musée, exposition, immersion, diffusion des sciences, genre.

 

Après la mode de l’interactivité, un nouveau terme apparaît associé au monde des musées de sciences : immersion. En effet nombreuses sont les expositions, en particulier celles à caractère scientifique ou technique qui, par un effet de mise en scène spectaculaire, sont qualifiées d’immersives. L’enjeu de ces nouvelles présentations étant de « faire “éprouver” le propos au visiteur » (Montpetit 1995), les principes didactiques jouant sur l’objectivation, appliqués à la conception d’exposition, sont mis en cause, et se voient opposer des approches sensibles.

Si ce genre de parti pris paraît adapté à l’art, notamment l’art contemporain, son usage dans des lieux qui ont pour mission de présenter les connaissances et la recherche scientifique invite au questionnement : comment faire « éprouver » au visiteur des découvertes scientifiques comme le fonctionnement du cerveau, le réchauffement climatique ou encore la théorie du big bang ? L’objectif des expositions d’immersion apparaît ambitieux et flou : comment transmettre de manière sensible et sensorielle de tels sujets ?

Au regard des différentes réalisations qualifiées d’immersives, la définition de cette nouvelle catégorie reste difficile à poser[1]. Pourtant le succès de ce terme invite à observer de plus près ces nouvelles formes dans la problématique de la circulation sociale du savoir par le média exposition : qu’est-ce qui caractérise ces nouvelles propositions ? En quoi se distinguent-elles des autres expositions ? Sont-elles porteuses d’un discours sur les sciences qui leur serait spécifique ?

Parce qu’aucune définition ne semble rendre compte de la spécificité et de la diversité de ces expositions, nous proposons dans cette communication de les aborder par la question des genres. L’objet n’est pas ici de poser une grille d’analyse et de classification des différents genres exographiques[2] mais d’utiliser la notion de genre en tant qu’elle renvoie à une culture commune, pour procéder à une analyse comparée de deux expositions qui traitent d’un sujet « globalement similaire »[3] : Questions d’atmosphère, présentée au Palais de la Découverte depuis 1998, et Climax à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 2003. Toutes les deux abordent une question d’actualité complexe et symptomatique de la relation science/société : le réchauffement climatique. Questions d’atmosphères apparaît comme l’exposition au sujet scientifique « classique », composée à la fois de panneaux, de dispositifs interactifs, de vidéos et d’expériences manipulatoires. Climax incarne le registre immersif : aucun panneau, aucune manipulation mais une plongée dans les images numériques. Cette mise en parallèle rend compte d’une première lecture prenant en compte autant les formes médiatiques que les conditions de production et de présentation. L’enjeu est de voir ici si une médiatisation de type immersif induit un nouveau discours sur les sciences.

La muséologie des sciences et la question des genres

Les genres télévisuels, les genres cinématographiques, les genres picturaux, etc., sont à présent au moins partiellement formalisés et participent du langage courant : « j’aime les documentaires, j’aime l’art abstrait, j’aime les nouvelles, etc. ». Les expositions scientifiques et techniques ont peu souvent été l’objet de catégorisation. Se démarquant de la muséologie d’art, elles représenteraient un genre à elles toutes seules (Schiele, Boucher 1988). Pourtant, comme le succès actuel du terme « immersion » dans ce champ le révèle, des genres différents existeraient bien au sein de cette pratique.

Chez différents auteurs, on trouve quelques tentatives pour différencier les expositions : « exposition-spectacle », « exposition-parcours », « exposition-simulation ». Mais Les termes ne s’imposent ni chez les chercheurs, ni chez les visiteurs.

L’analyse du fonctionnement sémiotique de l’exposition a produit quelques catégories qui, de par leur construction, restent à des niveaux très généraux. Par exemple, Peter Van Mensch propose, en 1987, de distinguer la muséologie d’objets et la muséologie d’idées. La première renvoie aux musées dont le mode de fonctionnement et la présentation sont fondés sur les objets de collection, la seconde sur la présentation des savoirs et des objectifs[4]. L’analyse sémiotique révèle que la scission entre la muséologie d’objets et la muséologie d’idées n’est pas seulement un fait historique mais que ces deux muséologies fondent un premier système (Davallon 1995). Jean Davallon ajoute une troisième catégorie : celle de la muséologie de point de vue[5] qui ne se centre ni sur l’objet ni sur le savoir mais sur le visiteur. Les expositions de cette troisième catégorie sont construites comme des environnements hypermédiatiques qui offrent un ou plusieurs points de vue sur un sujet traité et qui intègrent le visiteur dans le traitement scénographique. Cette analyse a permis de prendre en considération des productions de troisième génération comme les expositions d’immersion. Toutefois cette troisième catégorie reste hétéroclite : elle regroupe des dispositifs de reconstitution comme les unités écologiques du musée des Arts et Traditions populaires et des créations provenant des arts numériques. Une autre typologie des expositions existe à partir des formes muséographiques et de ce qu’elles exigent de leurs visiteurs (Montpetit 1995). Elle est structurée autour de deux grandes catégories : les expositions « exogènes » ou « référentielles » d’une part et les expositions « endogènes » ou « interprétatives » d’autre part. Dans les premières, la disposition des choses repose sur un ordre préalable qui doit être connu et reconnu[6]. Dans les secondes, la disposition des choses est générée par l’exposition elle-même et rendue explicite dans son dispositif ; l’agencement est fonction des objectifs de communication avec les visiteurs et du discours que tient l’exposition[7]. La muséographie d’immersion constitue une catégorie autonome dans cette typologie, pourtant elle pourrait également se retrouver dans d’autres groupes comme la muséographie analogique ou la muséographie thématique. Les recoupements sont nombreux, tout exercice de classification est difficile à réaliser.

Pourtant une analyse mobilisant la notion de genre en muséologie des sciences permettrait de favoriser l’analyse des articulations entre les modes de lecture et les modes d’écritures des expositions. À la simple vision du titre de l’exposition ou de l’affiche, les visiteurs projettent leur désir de connaissances et d’expérience. Ces attentes ainsi activées sont parfois à l’origine de déceptions (Belaën 2002).

Nous voudrions ici tester cette question des genres à partir d’exemples d’expositions et voir si le genre immersif génère un discours qui lui serait spécifique. Nous souhaitons, à partir d’une comparaison de deux expositions de styles a priori différents, proposer quelques allers-retours entre des élaborations théoriques à propos de la muséographie d’immersion[8] et des exemples de réalisation.

Deux expositions sur un même sujet

Le réchauffement climatique est présent dans l’ensemble des médias (Jahnich 2004) car il devient une préoccupation majeure du xixe siècle. Nous avons choisi deux expositions qui abordent ce même sujet, mais dont la muséographie diffère. Présentons tout d’abord brièvement ces deux expositions.

Questions d’atmosphère est une exposition permanente du Palais de la Découverte qui a été ouverte en 1998. Elle se compose de quatre cellules, c’est-à-dire une série de plans formant à chaque fois un hexagone. Chacune de ces cellules aborde selon un ordre indiqué les grands thèmes fondateurs de la question du réchauffement climatique : la météorologie, les mécanismes du climat, l’évolution du climat dans le temps et enfin la question du trou d’ozone. Chaque plan est constitué de textes accompagnés de schémas, de séances vidéo, de dioramas ou encore de dispositifs multimédias.

Pour aborder cette question d’actualité, plusieurs points sont spécialement détaillés[9] :
- ce qui distingue les domaines de la météorologie (de l’instantané à quelques jours) de la climatologie (qui se préoccupe aussi du millénaire),
- comment étudier les climats passés et expliquer leurs variations,
l- le rôle de l’effet de serre,
- l’ozone et ses processus de formation et de destruction dans la nature et dans les atmosphères polluées,
- les conséquences des activités humaines qui modifient notre environnement à une vitesse incompatible avec le déroulement des processus naturels.

Dans un autre registre mais sur le même sujet, l’exposition Climax est une offre temporaire présentée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 2003 jusqu’à fin 2004. Le propos global a été écrit par une équipe de concepteurs de la Cité des Sciences. Suite à un appel d’offre, une agence d’architecture hollandaise mvrdv[10] a été désignée comme coauteur pour réaliser l’exposition. Climax est composé de quatre espaces clairement définis :
- une esplanade qui sert de lieu d’entrée et de sortie, où des livres[11] sont mis à disposition du public ainsi que la consultation du site internet ;
- un film qui dure une vingtaine de minutes, constitué d’images de synthèse et projeté à 360°. Il est construit à partir de cinq séquences successives intitulées : « Le réchauffement », « Ses conséquences », « Réduire le CO2 », « S’adapter » et « Maîtriser le climat » ;
- un forum qui présente des interviews de dix personnalités de diverses tendances et disciplines. Leurs réponses sont compilées sur un graphique, ce qui donne un aperçu des profils d’opinion des experts selon qu’ils sont par exemple « sceptiques » ou « concernés » par le changement climatique. Des dispositifs permettent aux visiteurs de faire part de leur point de vue. Leurs opinions apparaissent alors dans le graphique au côté de ceux des experts ;
- un simulateur, inspiré des modèles utilisés par les climatologues et qui tente de prévoir les évolutions du climat. Un globe terrestre en 3D réagit en temps réel aux décisions prises par les visiteurs. Ce jeu permet d’agir géographiquement sur les principaux domaines qui participent à l’augmentation des gaz à effet de serre (l’activité des « foyers », de l’« industrie », etc.) et de visualiser immédiatement les conséquences de leur choix.

Exposition d’immersion : quelles différences ?

À partir de ces deux exemples et jouant de l’effet de contraste, présentons quelques aspects dont l’articulation est déterminante dans une exposition de type immersion.

La science dans la vie quotidienne

La particularité des expositions d’immersion est, comme nous l’indiquions en introduction, de « faire “éprouver”, de faire “vivre” le propos de l’exposition au visiteur » (Montpetit, 1995). Pour y parvenir, le message de l’exposition doit être palpable, donc matérialisé. Après avoir analysé plusieurs dispositifs que l’on peut qualifier d’immersifs dans un musée des sciences[12], nous sommes parvenus au constat que le discours scientifique servant de référence était rendu sous forme d’« univers ». Le propos exposé donne naissance à un espace-temps que le visiteur est invité à traverser. Cette spatialisation de la connaissance apparaît comme un moyen de « plonger » le visiteur dans le propos. En effet, le principe de médiatisation de type immersif a la particularité de ne plus placer le visiteur à distance de la représentation mais de le plonger au cœur même de celle-ci afin qu’il en éprouve directement le propos, jusqu’à parfois constituer l’expérience elle-même comme propos (Belaën 2005). Climax illustre cette démarche de conception. En effet, cette exposition propose de plonger le visiteur dans un bain d’images. Les dimensions des écrans sur lesquels est projeté le film excèdent le champ visuel du spectateur. De plus, les effets de cadre et de travelling lui procurent également l’impression d’être littéralement « dans » l’image. Cette technique est bien connue du cinéma, repérée par les critiques, les uns et les autres étant d’accord pour y voir un moyen de donner au spectateur le sentiment de participer au film qu’il regarde. La structure d’une exposition d’immersion devient le théâtre d’un espace diégétique imaginé par les concepteurs.

Le monde utopique recherché dans l’exposition Questions d’atmopshère n’est pas aussi visible, le travail scénographique, minimaliste, n’informe pas sur l’existence d’un « monde » auquel serait associé le thème. Les propriétés du savoir de référence, les liens logiques, les nuances sont principalement pris en charge par les textes écrits accompagnés par différentes formes d’illustration

Du point de vue du discours, c’est aussi toute une autre vision des sciences qui est exposée. Questions d’atmosphères présente la problématique de manière analytique et systémique. Cette exposition explique le fonctionnement du climat, son histoire, les différents éléments qui l’affectent pour, à la fin, aborder la question du trou d’ozone et ses conséquences. On retrouve dans cette exposition la démarche scientifique que cherche à transmettre le système scolaire (liens logiques, manipulations/explications, etc.). Cette exposition est conçue selon le modèle des livres scolaires avec chapitres, sous chapitres et propos écrits, et illustrés par des schémas, des photos, des démonstrations, etc., lesquels apparaissent comme instances de vérification du propos. Dans l’exposition Climax, les explications du phénomène sont présentées de manière concentrée : la première séquence du film, qui dure environ cinq minutes, explique rapidement les causes de l’effet de serre à l’aide d’un schéma. Le réchauffement climatique provoqué par l’activité humaine est considéré comme un postulat de base, partagé par l’ensemble de la communauté scientifique. Rapidement la question des conséquences se substitue à celle des raisons et des explications du phénomène. Ces dernières sont simplifiées ; l’objectif de l’exposition étant clairement de proposer différents scénarios possibles qui rendraient compte des conséquences d’une élévation de température de la Terre. Ainsi le visiteur est invité à « voir » de ses propres yeux le résultat du réchauffement climatique : élévation du niveau de la mer, multiplication des canicules, etc., pour qu’il ait envie de réagir face à cette évolution. Les expositions d’immersion, que l’on peut considérer comme des expositions de troisième génération (Davallon 1995) ne renvoient pas à la logique de l’éducation populaire comme pouvait l’envisager la médiation des années 1970 (Rasse 2000) C’est une vision pratique et fonctionnelle de la science qui est ici exposée : en quoi ce phénomène va affecter notre quotidien ?

Une nouvelle présence du visiteur

Une des particularités des expositions d’immersion réside dans l’implication du visiteur dans le dispositif. Au-delà du fait que le discours l’interpelle directement sur son mode de vie puisqu’on traite des conséquences de certains choix sur l’évolution du climat, les dispositifs d’immersion innovent dans leur manière de convoquer physiquement le visiteur. Climax est à ce titre intéressant. Les différentes postures de visite sont simples mais multiples : on regarde un film, on joue au simulateur, on écoute des experts, on lit sur l’esplanade. Le parcours est clairement identifié[13]. Le lieu est esthétique, le mobilier travaillé offre un certain confort. Ce genre de proposition donne le sentiment d’une grande facilité de compréhension au niveau de l’orientation ou bien au niveau des concepts exposés.

Questions d’atmosphères demande environ plus de deux heures de visite. Le visiteur est face aux différents panneaux, debout la plupart du temps. Il est invité à lire dans l’ensemble 72 panneaux. C’est une impression de densité qui s’en dégage. Le visiteur est invité à s’« accrocher » s’il veut saisir le sens global de l’exposition. Le changement de rythme de la visite repose uniquement sur un changement systématique de mode d’illustration du propos : par exemple un film, plus loin, une expérience à réaliser, encore plus loin un diorama. Une question en rouge sur chaque panneau tente d’apporter du rythme à la visite mais ne prend effet que pour celui qui est déjà en phase avec le propos : « Cette situation peut s’inverser... » ou « L’homme perturbera-t-il l’évolution naturelle ? ».

Climax illustre également une nouvelle prise en compte de la sociabilité dans les pratiques de visite. Déjà au niveau du film, comme nous l’indiquions plus haut, le visiteur peut non seulement « se voir » à l’intérieur de l’image projetée, mais la présence des autres renforce également le sentiment d’être collectivement face au problème qui est exposé. Dans un autre style, parce que l’image est projetée sur un grand écran, les actions menées par le visiteur sur le simulateur sont visibles de loin. Le visiteur n’est plus face à son écran, ses choix sont perceptibles par ses voisins. Il est lui-même en représentation. L’opinion du visiteur est également prise en considération. En effet, dans le forum, après avoir répondu aux mêmes questions que celles qui ont été posées aux experts, ses réponses apparaissent sur un écran. Son opinion apparaît symboliquement aussi importante que celle des experts « reconnus ». Mais cet affichage de l’exposition comme lieu de la prise de position citoyenne face à ce genre d’enjeu, fortement attendu par le visiteur (Le Marec 2002) reste au niveau du gadget muséographique.

Une logique d’évènement de communication

Pour parvenir à faire vivre le propos au visiteur, les expositions d’immersion misent sur le sensationnel et l’émotionnel. Cette stratégie donne lieu à des expositions spectaculaires qui servent de produits d’appel pour faire venir le public dans l’institution. La communication autour de l’exposition Climax témoigne de ce phénomène d’« exposition-évènement » à l’affiche pour une période. Cette exposition n’est que le premier chapitre d’un programme plus ambitieux sur la question du développement durable « Gérer la planète »[14]. Mais ce premier volet sur le réchauffement climatique, n’est pas seulement abordé dans l’exposition. Climax est complété par des séances d’animation, des conférences, un catalogue très riche et un site internet très documenté. L’exposition est considérée comme un pôle attractif mais n’est plus le lieu de l’apprentissage ou celui du débat. L’exposition est l’espace - et le moment - des sensations fortes[15]. D’ailleurs la proposition de Climax rappelle la technologie mise en œuvre dans les cinémas dynamiques comme la Géode ou encore le système Omnimax. Cette similitude laisse penser que Climax se situe davantage dans une logique de production culturelle que de diffusion des sciences. Mais le sentiment que peut laisser ce genre de proposition est celui d’une surenchère de l’effet scénographique au détriment d’une certaine quantité de contenu. À la sortie de plusieurs expositions d’immersion, les visiteurs ont parfois exprimé le sentiment de « rester sur leur faim » (Belaën 2002).

La logique de l’exposition Questions d’atmosphère est en revanche davantage celle d’un produit fini autonome qui du point de vue du contenu se suffit à lui-même. Rappelons qu’il s’agit d’une exposition permanente[16]. Les problématiques de ce genre d’exposition se veulent plus neutres et atemporelles. On y recherche davantage l’exhaustivité et l’explication rigoureuse du phénomène. La communication autour de cette exposition a eu lieu seulement au moment de l’ouverture au public. La différence dans l’emplacement et dans l’espace alloué aux deux expositions[17] rend compte de leur place respective dans la communication de l’institution.

Une nouvelle légitimité

Une différence qui nous apparaît importante dans ces deux expositions réside dans la manière d’afficher les signatures des deux propositions. Questions d’atmosphère a été conçue par le personnel du département Sciences de la Terre du Palais de la Découverte. Ce sont en majorité des personnes de formation scientifique. Aucun générique n’expose leur nom dans l’exposition : pour le visiteur, Questions d’atmosphère est signée « Palais de la Découverte ». La logique est différente dans Climax. La Cité des Sciences et de l’Industrie n’est pas complètement auteur de la proposition, son rôle ressemble davantage à celui de commanditaire.La chef de projet l’explique :

La très grande part de création dans les contenus de mvrdv, puisqu’ils produisent les images, en font un peu les coauteurs de l’exposition. Quant au chef de projet avec son équipe, son rôle a été de définir les contenus scientifiques de l’exposition. Et comme tout client, d’accepter ou de refuser les propositions de mvrdv, de discuter, de les orienter et de veiller à ce que l’exposition garde le cap qu’elle s’était fixé au départ : sensibiliser le public sans tomber dans le catastrophisme ni dans le moralisme.[18]

Cette part importante laissée à la maîtrise d’œuvre est visible dans le résultat. Au-delà d’un traitement minutieux de l’implantation de l’exposition et d’un travail plastique et esthétique que l’on retrouve dans la structure de l’exposition, le propos du film témoigne du fait que les coauteurs sont avant tout des architectes. En effet, les solutions proposées face au réchauffement climatique sont en majorité architecturales (et utopiques) : « creuser de nouvelles avenues dans le sens des vents dominants dans les grandes villes », « créer des espaces verts et repeindre les surfaces de couleurs claires pour réfléchir », « créer de nouvelles îles artificielles », etc. La maîtrise d’œuvre explique sa position : « ne pas seulement se contenter de représenter la science, mais de la créer, d’allier l’éducation au développement, l’accumulation du savoir à la création du savoir ». Un tel changement dans les rapports de légitimité avait été noté à partir d’expositions qui présentaient les recherches sur le cerveau (Babou, Le Marec 2003). De nouveaux acteurs professionnels interviennent, en l’occurrence sur des expositions aux sujets différents - le climat et le cerveau -, et importent leurs propres visions. Ces changements témoignent d’un déplacement des rapports de légitimité dans les expositions scientifiques et techniques.

Conclusion : quelle place pour le média exposition ?

À travers cette étude comparative, nous pouvons voir dans un premier temps qu’un dispositif d’immersion se caractérise par une focalisation du propos non plus sur l’explication des phénomènes à caractère scientifique et technique, mais sur leurs conséquences. L’objectif est de faire réagir le visiteur en simulant les retombées des phénomènes dans sa vie quotidienne. Dans le cas de Climax, on cherche à faire éprouver au visiteur le « choc climatique » pour activer sa prise de conscience. Ce n’est pas la rigueur scientifique qui est l’objectif premier mais l’intensité et l’originalité de l’expérience. Les expositions plus traditionnelles comme Questions d’atmosphères témoignent d’une grande rigueur dans la nature du contenu et les explications du phénomène mais elles montrent leur limite d’attractivité pour un large public.

À un autre niveau, il est intéressant de noter le postulat de départ qui a motivé la Cité des Sciences et de l’Industrie à opter pour une présentation immersive. La chef de projet l’explique :

Lle sujet [le réchauffement climatique] se prête particulièrement à ce style d’exposition. D’une part, c’est un sujet sur lequel le public est déjà très informé [...] d’où notre volonté de faire beaucoup plus que d’informer en faisant une muséographie très marquante. D’autre part, c’est un sujet d’anticipation, de prospective. Il s’agit de faire des scénarios sur nos futurs.[19]

En d’autres termes, l’exposition, concurrencée par les autres propositions médiatiques, ne cherche plus à être un lieu de connaissances et d’apprentissage. Ce média tente de se démarquer en mettant l’accent sur la « présence physique » du visiteur et en lui proposant une expérience inédite. Les pratiques liées aux autres médias[20] peuvent y être d’ailleurs réinvesties. Ce changement d’objectif laisse imaginer que le paradigme qui avait longtemps dominé la muséologie des sciences, celui de la diffusion des sciences, pourrait être concurrencé, sur son propre terrain, par d’autres enjeux plus directement liés à l’exploitation de la dimension expérientielle de la visite. Cette remarque invite à réfléchir dès à présent les genres d’exposition qui sontregroupéesdans le champ hétérogène de la muséologie des sciences. L’enjeu d’une formalisation n’est pas seulement heuristique, la mise à plat des différents styles aiderait à développer une lecture et une culture critique du média exposition comme on en trouvepourlecinémaou la littérature.

Bibliographie

Babou I., Le Marec J., 2003, « Science, musée et télévision : discours sur le cerveau », Communication et langages, 138.

Belaën F., 2005 (à paraître), « L’immersion mise en œuvre dans les musées de sciences : nouvelle forme de médiation ou simple technique de séduction ? », dans Culture et musées, 5, S. Chaumier (dir.), La muséologie alibi.

Belaën F., 2002, L’expérience de visite dans les expositions scientifiques et techniques à scénographie d’immersion, thèse doctorale, « Sciences de l’information et de la communication », université de Bourgogne.

Davallon J., 1995, « Le musée est-il vraiment un média ? », Publics et Musées, 5, p. 99-123.

De Oliviera N., Oxley N. et Petry M., 2003, Installations II. L’empire des sens, Londres, Thames & Hudson Ltd.

Dossier spécial « Immersion », avril 2003, consultable sur abonnement : http://www.museumexperts.com/

Dossier de presse de l’exposition Climax, 2003, Paris, Cité des Sciences et de l’Industrie  : http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/portail/glp.html

Jahnich M., 2004, « Pollution de l’air : traitement médiatique et perceptions », La publicisation de la science, Grenoble, GRESEC ICM, 24, 25, 26 mars 2004.

Le Marec J., 2002, « Le musée à l’épreuve des thèmes sciences et société : les visiteurs en public », Quaderni, 46, p. 105-122.

Montpetit R., 1996, « Une logique d’exposition populaire », Publics et Musées, 9, p. 55-100.

Montpetit R., 1995 « De l’exposition d’objets à l’exposition-expériences : la muséographie multimédia », p. 7-14, Actes du 62e Congrès de l’ACFAS, Les muséographies multimédias : métamorphoses du musée, 17 mai 1994, université du Québec (Montréal), Québec : musée de la Civilisation.

Perraton C., 1986, « L’œuvre des petits récits autonomes », in « Les Immatériaux » au Centre Georges Pompidou : étude de l’évènement-exposition et son public, Paris, Expo Média, p. 13-24.

Questions d’atmosphère, numéro spécial 50, avril 1998, Paris, Palais de la Découverte.

Rasse P., 2000, « La médiation : entre idéal théorique et application pratique », Recherches en communications, 13, p. 61-75.

Schiele B., Boucher L., 1988, « Exposition scientifique : essai sur une définition du genre », Protée. La Divulgation du savoir, 16 (3), p. 17-28.


[1] Concernant les difficultés à définir les expositions d’immersion, voir Belaën (2005).

[2] Notre propos ne repose sur aucune grille d’analyse « fine ». Nous renvoyons pour cela à la méthode détaillée de Bernard Schiele et de Louise Boucher (Schiele, Boucher 1988). Notre démarche se rapproche davantage de celle de Charles Perraton dans l’exposition Les immatériaux qui propose une « rhétorique cheminatoire » (Perraton 1986).

[3] Il est difficile de trouver deux expositions qui abordent « exactement » le même sujet, sauf lorsque les institutions se prêtent à un exercice de style comme ce fut le cas pour le thème de La Différence (musée Dauphinois, musée d’Ethnographie de Neuchâtel, musée de la Civilisation à Québec).

[4] Cité dans Davallon (1995).

[5] Il est intéressant de noter pour notre problématique que l’auteur avait au préalable choisi l’appellation de « muséologie d’environnement » pour cette troisième catégorie. Cette appellation renvoie plus facilement au qualificatif immersif, ce genre d’exposition appartenant à cette dernière. Mais l’auteur a abandonné le terme d’environnement car il pouvait laisser entendre que l’exposition traitait le thème de l’écologie.

[6] Les muséographies correspondantes sont la muséographie « symbolique », « taxinomique » et analogique ». Voir Montpetit (1996).

[7] Avec des muséographies soit « thématiques », « narratives » ou d’« immersion ». Voir Montpetit (1996).

[8] Nous renvoyons à une analyse plus approfondie qui propose une théorisation de la muséographie d’immersion. Voir Belaën (2005).

[9] Repris dans Questions d’atmosphère, numéro spécial 50, avril 1998, Paris, Palais de la Découverte.

[10] Au niveau de création d’exposition, mvrdv était déjà intervenu dans l’Exposition universelle de Hanovre en 2000 sur des questions autour de l’homme, la nature et la technologie.

[11] Catalogue de l’exposition, livre sonore, essais politiques, etc.

[12] La problématique apparaît différente pour les installations immersives en art, notamment en art contemporain. Voir De Oliviera, Oxley et Petry (2003).

[13] Les salles sont numérotées. Une signalétique presque osée car très présente et très simple, mais qui offre l’avantage d’être facilement visible.

[14] D’autres expositions autour de la même thématique vont succéder ou complète Climax  : Pétroles extrêmes (2004-2005), Soleil (2004-2005) et Opération Carbone (2004-2005).

[15] Nous en reparlerons en conclusion.

[16] Concernant les formes relatives à une exposition temporaire ou à une exposition permanente, notons que dans le programme précédent de la Cité des Sciences et de l’Industrie - Les défis du vivant -, la scénographie des deux expositions temporaires, L’homme transformé et Le cerveau intime, était de nature immersive selon deux modalités différentes (écrans interactifs pour la première, mise en scène sensible pour la seconde), alors que l’exposition permanente L’homme et les gênes présente un parcours sans originalité particulière de la muséographie.

[17] Questions d’atmosphère se trouve sur un lieu de passage alors que Climax bénéficie d’un espace clos.

[18] Propos de la chef de projet. Voir dossier spécial « Immersion » (avril 2003) http://www.museumexperts.com/ et dossier de presse de l’exposition Climax (2003) http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/portail/glp.html

[19] Idem.

[20] Dans Climax, le graphisme des images fait clairement référence aux logiciels de modélisation des architectes ou encore au système Windows (ouverture/fermeture de fenêtres, superposition de fenêtres ouvertes, etc.).


Citer cet article : Florence Belaën, « L’immersion comme nouveau mode de médiation au musée des Sciences. Étude de cas : la présentation du changement climatique », colloque Sciences, Médias et Société, 15-17 juin 2004, Lyon, ENS-LSH, http://sciences-medias.ens-lsh.fr/article.php3 ?id_article=70

 

 
     
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