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  ENS Lettres et sciences humaines Communication culture et société


Écrire la vulgarisation scientifique aujourd’hui

Sandrine REBOUL-TOURÉ
SYLED / CEDISCOR, université Paris III-Sorbonne nouvelle

 


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Mots clés : ellipse, lien hypertexte, reformulation, vulgarisation scientifique.

 

Dans le domaine des sciences du langage, certains chercheurs en analyse du discours se sont intéressés, il y a une vingtaine d’années, à la vulgarisation scientifique - VS - et plus spécifiquement aux marques linguistiques caractérisant ce type de production. Une analyse formelle de la vulgarisation[1] mettait en valeur au niveau discursif, un cadre énonciatif typique et au niveau lexical, des marques liées à la reformulation des termes spécialisés.

La transmission des connaissances aujourd’hui s’insère dans un cadre politique et social différent. La circulation des discours à propos de science se réalise autrement car il existe notamment - et pour ce qui nous concerne ici - des débats de société et de nouveaux médias qui se sont démocratisés comme l’internet. Nous présenterons tout d’abord l’enrichissement de la palette énonciative due, entre autres, à une démultiplication des intervenants convoqués dans l’exposition de la science. Puis nous proposerons quelques modalités d’écriture qui nous paraissent actuellement émerger. Viennent s’ajouter à ces analyses des axes transversaux comme l’orientation diachronique permettant de comparer sur le plan linguistique différents modes d’écriture, une observation macro et micro dans le domaine des sciences du langage avec globalement le cadre énonciatif et plus finement des marques au niveau de la phrase et de l’enchaînement phrastique, enfin une observation des supports : le papier et le numérique, notamment l’internet dans sa dimension hypertextuelle. Le lien hypertexte par sa typographie, généralement une couleur et/ou un soulignement contribue à mettre en valeur certains éléments. Dans le cadre d’un texte de vulgarisation, les mots retenus sont ceux du spécialiste, ceux qui ont besoin d’être reformulés pour le grand public. Les liens mettent donc en évidence les termes de la science en les pointant et ils permettent au lecteur d’enrichir ses connaissances par des approfondissements - souvent d’ordre définitionnel. Ces parcours de lecture « balisés » par les liens hypertextes participent pleinement à la vulgarisation scientifique.

Du troisième homme au chef d’orchestre discursif

Il ne va pas toujours de soi d’identifier ce qu’il est possible d’entendre par « vulgarisation scientifique » et beaucoup de précautions sont régulièrement prises quant aux délimitations de cet espace :

L’impossibilité que l’on éprouve à définir la vulgarisation scientifique constitue donc le fait premier, incontournable [...]. Mais cette impossibilité révèle d’abord la difficulté qu’éprouve la science à poser précisément ses limites. La vulgarisation joue souvent sur les marges, sur cette latitude. (Beaune 1988, p. 49).

Ou encore :

Le statut de la VS est incertain. Il se situe au sein d’une nébuleuse où se distinguent malgré tout trois pôles : l’information, l’éducation non-formelle et le champ scientifique. (Jacobi, Schiele 1988, p. 87).

La vulgarisation demeure cependant un objet d’étude qui intéresse des spécialistes d’horizons différents. Nous retiendrons la VS en tant que discours dans le cadre des sciences du langage et plus spécifiquement dans le champ de l’analyse du discours. Nous prendrons ainsi en considération l’articulation entre des marques linguistiques et les acteurs de la communication.

Discours sources, discours seconds

Le discours de vulgarisation scientifique qui se présente comme un discours intermédiaire[2] sur l’éventail des discours de transmission des connaissances est par essence un lieu hétérogène considéré comme un discours second brassant des discours sources[3]. Dans les Entretiens sur la pluralité des Mondes - 1686 - de Fontenelle, c’est la forme du dialogue[4] qui est privilégiée : d’un côté le spécialiste, de l’autre, celui qui cherche à être éclairé - deux voix. Or, avec l’abandon du dialogue et l’apparition du vulgarisateur, il se produit un ajout, une mise en forme supplémentaire réalisée par le « troisième homme »[5], comme une « réponse » à un éventuel questionnement du lecteur non-spécialiste - ce qui crée sur le plan linguistique, des reformulations et des discours rapportés dans le fil de l’énoncé (Reboul-Touré 2003). Le vulgarisateur dialogue avec ses propres mots en prenant en considération deux extérieurs : le scientifique avec son discours et ses termes spécialisés et le lecteur évoluant dans une autre sphère discursive avec des mots courants. Il existe des événements scientifiques en amont et une des tâches du vulgarisateur est de « rapporter » mais il peut aussi bien rapporter les événements - sans insister sur les discours - ou bien au contraire utiliser les marques linguistiques du discours rapporté. Il peut donc reformuler les informations premières dans son propre cadre énonciatif ou bien souligner les pôles énonciatifs sources.

Une palette d’intervenants

On repère une démultiplication des intervenants convoqués dans l’exposition de la science. En effet, l’énonciateur de la vulgarisation n’est plus la seule voix qui se manifeste dans les articles[6]. Sont entendues les réflexions de spécialistes, les opinions d’hommes politiques ou d’industriels, les « experts » (Petit 2000) ou de témoins (Rakotonoelina 2000) ou encore de citoyens (Reboul-Touré 2000), notamment lorsqu’on s’intéresse à la vulgarisation qui touche des problèmes de société : ESB-« vache folle », OGM-maïs transgénique, etc. Certains thèmes de la science sont entrés dans le débat public. Linguistiquement, la métamorphose des textes est intéressante car le discours rapporté devient très présent sous différentes formes : discours direct, discours indirect, modalisation en discours second[7], modalisation autonymique[8], voire allusion, cette dernière forme s’appuyant sur une nécessaire interprétation (Reboul-Touré 2004).

Le discours de l’autre vient alors modifier l’écriture et le rôle du vulgarisateur qui, au lieu de rapporter des faits scientifiques comme pouvait le faire le troisième homme, rapporte plutôt des discours sur les faits en faisant circuler la parole de différentes personnes impliquées par le fait scientifique. Ainsi « si l’hétérogénéité communicationnelle fonde dès l’origine l’analyse du discours scientifique, la considération de l’espace public comme lieu de confrontation des régimes de discours renouvelle aujourd’hui la lecture de cette hétérogénéité » (Jeanneret 2000, p. 205). Dans un cadre communicationnel, la catégorie d’« espace public » « ne se caractérise pas seulement par sa plus ou moins grande ouverture, mais aussi par les règles, les normes et conflits qui le traversent et surtout par le statut qu’il confère aux médias, comme carrefour de diverses prétentions à la légitimité, concrétisant un idéal démocratique [...] » (idem). L’hétérogénéité « canonique » de la VS - discours sources / discours seconds - s’est donc transformée[9] avec l’intervention de nouveaux acteurs au niveau politique et social. Le vulgarisateur semble s’effacer en mettant en valeur les différents intervenants et en orchestrant leurs discours.

Reformulation et ellipse

Nous souhaiterions montrer ici que le mouvement d’expansion lié à la reformulation[10] peut prendre une forme différente lorsqu’on passe du support papier au support informatique. Le discours de vulgarisation scientifique possède comme caractéristiques formelles une activité de paraphrase[11] qui se cristalise autour de termes scientifiques. Le vulgarisateur cherche à expliciter les termes en proposant des désignations ou en utilisant des définitions afin de rendre l’objet de la science plus accessible :

Les processus discursifs mis alors en jeu sont intéressants au double point de vue sémiotique et sémantique : en fonction de l’occurrence de termes scientifiques dans le discours de vulgarisation, les traces de l’activité métalinguistique repérables dans l’énoncé seront plus ou moins nombreuses et explicites, caractérisant l’aspect sémiotique de la vulgarisation. L’observation de la relation sémantique qui unit (en langue) les segments mis en relation de paraphrase dans le discours caractérise, de son côté, l’activité discursive de la vulgarisation [...]. (Mortureux 1982, p. 48)

L’espace discursif analysé permet donc d’observer des phénomènes importants de reprises, autour des mots spécialisés. La métaphore est, par exemple, un procédé régulièrement utilisé :

La séquence d’ADN est ici caractérisée au niveau de certains de ses sites, en certains points du chromosome, sites utilisés comme des « marqueurs ». On en choisit le plus grand nombre possible, en recherchant ceux qui sont le plus liés aux différences génétiques pouvant exister entre deux individus. Il est ainsi possible de prédire facilement, avant même qu’il ne s’exprime, la présence ou l’absence d’un caractère recherché grâce à des marqueurs très proches physiquement (liés) à ce caractère. L’organisation de ces marqueurs dans le génome constitue une « carte génétique », sorte de « portrait-robot » des individus. INRA

La transgénèse a aussi permis le séquençage du génome (carte d’identité chromosomique). Transrural

On cherche alors de nouveaux traits sémantiques communs[12] entre « carte génétique » et « portrait-robot », entre « génome » et « carte d’identité ».

Le reformulant peut aussi être un hyperonyme[13] à l’origine d’une glose définitionnelle :

La transformation directe consiste en l’introduction dans le génome d’un gène véhiculé le plus souvent par un plasmide classique (exemple : pUC), par le biais de techniques physico-chimiques. La première méthode de transfert direct fut l’introduction mécanique d’ADN dans des protoplastes (cellules dont on a ôté la paroi pectocellulosique). OGM et consommateurs

L’hyperonyme - « cellule » pour « protoplaste »[14] - ainsi proposé dans une glose peut en effet constituer le premier élément d’une définition. Le vulgarisateur met en jeu l’organisation hiérarchique du lexique.

Cette activité de reformulation - qui peut explorer d’autres relations sémantiques comme la quasi synonymie, la métonymie - est très présente dans le discours de vulgarisation ; elle s’appuie sur des marques comme la virgule, les parenthèses, « ou », « c’est-à-dire »[15]. La reformulation se présente alors comme une forme d’ajout et cette adjonction est insérée syntaxiquement au fil du discours.

Le lien hypertexte

L’écriture de la vulgarisation scientifique pour l’internet présente quelques spécificités, notamment l’utilisation du lien hypertexte. Il faut bien distinguer les revues de vulgarisation qui sortent en kiosque et dont les articles sont conçus pour le support papier des sites de vulgarisation n’existant que sur le support informatique. En effet, lorsque les revues papier sont mises sur l’internet il n’y a pas d’utilisation spécifique du lien hypertexte : La Recherche, Science et Vie, Science et Avenir, etc.

L’utilisation du lien donne au discours une autre apparence : plutôt que de reformuler un terme spécialisé dans la phrase elle-même, on a la possibilité d’« isoler » le terme pour l’expliciter sur une autre page, celle à laquelle on accède par le lien. Ainsi, cette nouvelle écriture invite à différents parcours de lecture, un texte de surface renvoyant à des explicitations dans un autre espace discursif :

Les utilisations les plus médiatisées du génie génétique concernent les organismes supérieurs, plantes et animaux, destinés à l’alimentation. Les applications agricoles sont de surcroît les plus utilisées.
Elles ne représentent pourtant aujourd’hui qu’une partie des multiples applications de cette technique, qui connaît ses développements les plus nombreux dans le domaine de la recherche en biologie et en médecine.
Science citoyen, http://science-citoyen.u-strasbg.fr/dossiers/ogm/index.html

On clique sur le lien hypertexte génie génétique et on obtient[16] :
gène : fragment d’ADN codant un caractère, et correspondant à une unité d’information génétique.
génie génétique : ensemble des procédés qui permettent à l’homme de modifier le patrimoine génétique d’un individu. Science citoyen, http://science-citoyen.u-strasbg.fr/dossiers/ogm/index.html

ou encore :

La première découverte d’Einstein, qu’il a exprimée dans la relativité restreinte, a été que le temps en fait n’était pas absolu, mais qu’il était lui aussi relatif : tous les observateurs ne le voyaient en fait pas se dérouler à la même vitesse selon qu’ils étaient dans une voiture ou sur le sol. C’est une situation particulièrement bien illustrée par ce qu’on appelle le paradoxe des jumeaux. Vous imaginez combien cela a pu révolutionner notre perception du monde ! C’est là que le terme de relativité a pris de plus en plus de sens : le nombre de choses relatives à un observateur devenait vraiment important (le mouvement, mais aussi le temps, les forces, etc.).
http://www.e-scio.net/relativite/

et après un clic sur le paradoxe des jumeaux s’ouvre une autre page qui va au-delà d’une définition :

Le paradoxe des jumeaux
Pour bien comprendre, il faut connaître un peu la relativité restreinte.
Nous allons détailler un peu plus ici une des conséquences les moins intuitives de la relativité, et une des meilleures illustrations du fait que le temps, décidément, n’est pas absolu. Comme ça s’appelle « paradoxe des jumeaux », on va prendre deux jumeaux, Balin et Dwalin [...].
http://www.e-scio.net/relativité/jumeaux.php3

Lorsque des textes sont écrits en vue du support informatique, le vulgarisateur dispose d’un outil qui lui permet de dédoubler son écriture sur plusieurs espaces : le lien hypertexte qui se manifeste sur un mot - ou groupe de mots - le plus souvent souligné et/ou mis en couleur[17]. Ce sont alors les termes liés à l’événement vulgarisé qui sont mis en valeur. Le lien mène à une autre page informatique sur laquelle le vulgarisateur peut gloser, commenter, développer ses propos sur le mot et/ou sur la chose. Ainsi le « dialogue » avec le lecteur non-spécialiste ne se réalise pas comme nous l’avons observé précédemment au fil du texte mais dans une autre dimension, une autre « couche textuelle » (Reboul-Touré 2003 ; Mourlon-Dallies, Rokotonoelina et Reboul-Touré 2004).

Les sites de VS consultés exploitent plus ou moins systématiquement cette possibilité. L’identification d’une « couche article » et d’une « couche lexique » est clairement présentée sur un site que l’on peut situer entre vulgarisation et pédagogie :

Le projet SMEL (Statistiques médicales en ligne) propose une initiation interactive à la statistique, articulée en trois couches.
La couche ARTICLES propose des textes, contenant des exemples d’utilisation de la statistique.
La couche LEXIQUE contient un index des termes statistiques, référencés dans les articles et expliqués dans des pages séparées. Ces termes sont de trois types.

Termes nodaux. Ce sont des parties de termes simples ou développés plus précis. Par exemple « moyenne » renvoie à « moyenne empirique », « moyenne élaguée », « moyenne mobile ».

Termes simples. Ils renvoient à une page contenant une brève définition, des liens vers les autres couches et un bouton cliquable « voir aussi » qui renvoie sur des termes proches.

Termes développés. Ils renvoient à une page contenant le même type d’information que celle des termes simples, plus une applet illustrant le terme par une expérimentation interactive.

La couche COURS est un cours de statistique au sens classique. C’est à ce cours que renvoient les boutons « plus de détails » des termes simples et développés.
http://www.math-info.univ-paris5.fr/smel/presentation.html

Les rédacteurs du site SMEL n’explorent pas la reformulation « traditionnelle » et utilisent explicitement les liens hypertextes pour déplacer les définitions des termes spécialisés sur d’autres pages.

Une ellipse

Le lien hypertexte a pu être rapproché de l’ellipse dans le cadre de l’analyse de récit :

Dans un récit interactif, le lien hypertexte revêt une valeur elliptique qui ne repose pas seulement sur quelques événements rhétoriques remarquables et locaux mais sur l’ensemble du dispositif de représentation diégétique (Bouchardon, 2002)

Il nous semble conserver certains aspects de l’ellipse dans le discours de vulgarisation : les marques - « c’est-à-dire », « ou », « les parenthèses », etc. - qui annoncent la reformulation disparaissent. Le lien devient un articulateur générique qui recouvre plusieurs formes.

Un marqueur métalinguistique

Le lien souligne un ou des mots au sens propre comme au sens figuré. Le mot est donc doublement utilisé/lu : il est considéré comme renvoyant à son référent et en même temps, on s’arrête sur le mot lui-même en tant que signe. Il semble donc que le lien hypertexte soit une marque sémiotique créant une modalisation autonymique. Dans les textes de VS ce sont les termes spécialisés qui sont massivement à l’origine des liens. La terminologie qui pouvait être mise en valeur par des guillemets ou par l’italique est donnée à voir autrement.

Un paradigme désignationnel fragmenté

Autour de la reformulation, les analystes du discours ont travaillé avec le concept de « paradigme désignationnel » qui a été et demeure très productif : on peut relever dans un même texte les différentes désignations qui sont en coréférence avec un mot-clé. On obtient ainsi un paradigme. Certains des reformulants étant des hyperonymes, on a pu parler de paradigmes définitionnels :

Un autre type de paradigme, dégagé par l’analyse de discours de vulgarisation, [qui] éclaire les modalités du rapport entre la dispersion discursive et la stabilité postulée « en langue », entre la variation des vocabulaires et l’invariant lexical. (Mortureux, Petit 1989, p. 49)

Il nous semble que le lien hypertexte vient modifier l’identification des paradigmes désignationnels et définitionnels car les coréférents ne sont plus en présence dans un seul texte mais ils sont à rassembler à partir de plusieurs pages, de plusieurs « couches » de textes. Ils sont alors issus d’une nouvelle construction discursive.

De nouvelles formes textuelles ?

Un détour par la fiction permet de faciliter l’accès à la science. Des démarches de fictionnalisation existent à la télévision, avec par exemple des films de science-fiction chargés d’illustrer des notions - Temps X en a utilisé dans les années 1980 - ou alors sous la forme de noyaux narratifs inclus dans un discours plus classiquement didactique - toute la série « Corps vivant », une série scientifique et médicale des années 1986-1987 (Babou 2004). Cette articulation entre fiction et vulgarisation scientifique peut donner, à l’écrit, des productions textuelles assez inattendues. Nous proposerons un exemple sur support papier et l’autre sur internet.

Dans leur ouvrage Dans le tourbillon de la vie, Sophie Képès - romancière - et François Képès - biologiste - joignent leur plume pour élaborer ce qu’ils appellent une « biofiction » :

Ami lecteur, tu vas t’engager dans une histoire qui te semblera fantastique, et qui l’est encore bien plus que tu ne l’imagines : elle suit en effet une logique rigoureuse, en illustrant les notions majeures de l’évolution des espèces. Tu découvriras que la biologie est un vivier de métaphores étonnantes qui forment ici la trame d’un nouvel objet littéraire appelé « biofiction ». Cependant, ne crains pas de te laisser porter sans arrière-pensée par le plaisir de lire. Toutes les clés te seront données à la fin [...]. (Képès 2002, p. 5)

La démarche des auteurs est bien présentée comme nouvelle et la production écrite donne lieu à la création d’une dénomination, « biofiction ». Nous voyons ainsi la volonté de faire entrer le lecteur dans la science par la lecture d’un roman - qui se présente de manière autonome et nullement « parasité » par des remarques scientifiques. L’ouvrage est donc composé d’un récit :

Pourtant, la journée avait bien commencé. C’était une journée de vacances, une de plus, la vingtième ou la trentième d’un nombre qui paraissait infini. Le mois de septembre était encore merveilleusement éloigné ; de toute façon, Florélie ne voulait pas y penser.
Elle était descendue à la plage un peu plus tard que d’habitude, parce que Louise, la baby-sitter (mais elle, Florélie, n’était plus baby depuis longtemps !), avait traîné dans la salle de bains [...]. (Képès 2002, p. 7)

Et en fin d’ouvrage sont présentées les « clés du récit » avec des éléments pour une relecture du texte dans le cadre de la biologie :

Quel fil rouge sous-tend l’apparente bizarrerie des aventures de Florélie et Roberto ? Car il y a bel et bien une cohérence sous-jacente à cette histoire, et en voici la clé : ils vivent dans leur chair et leur esprit l’évolution des espèces, mais en un raccourci fulgurant, et sous une forme métaphorique. Dans ce chapitre premier, il est avant tout question de l’apparition de deux espèces à partir d’une seule - en d’autres termes, il est question de « spéciation ». On y traite aussi de la co-évolution des espèces, du paysage adaptatif, de la sélection naturelle [...]. (Képès 2002, p. 85)

La collection de l’éditeur s’intitule « Romans & plus » et le but annoncé est bien didactique par l’explicitation - en dehors du roman et dans le même volume - des réflexions qui sous-tendent la structure de la fiction :

Cette collection réunit des fictions (romans, pastiches et nouvelles) ayant vocation à rendre accessibles sans trop d’effort savoirs et réflexions. Et pour s’assurer que la « leçon » est bien comprise, chaque livre s’enrichit d’annexes explicitant le contenu mis en scène dans le roman. (Képès 2002, p. 2).

Par ailleurs le site CyberSciences junior - lié à CyberSciences, la science et la technologie pour tous, magazine de Québec science - offre une rubrique CybRécits. La présence de récits sur un site de VS peut surprendre. La fiction n’est pas comme ci-dessus métaphoriquemais elle se présente comme un exercice de style permettant d’utiliser une terminologie spécifique et c’est par le réseau des liens hypertextes que l’on retrouve la science. Cette structure hypertextuelle a une thématique atypique au cœur d’un récit ; en effetlesliensdescyber-romansnepointentpasdetermesspécialisés.Nousavons retenu un extrait de Train d’enfer de Danielle Simard :

D’une main tremblante, Laurent ouvre la portière. Il s’assoit sur le siège du conducteur et ajuste les miroirs. Se concentrer sur la bonne marche à suivre lui demande un effort inhabituel tant son cœur s’emballe et lui bat aux tempes.
Il a tellement observé sa mère au volant qu’il croit bien savoir comment s’y prendre. Et puis, il a souvent conduit le tout-terrain de son amie Pascale. Neutraliser l’antivol, tourner la clé de contact. Voilà, le moteur vrombit ! Pousser le bras de vitesse en position D, peser sur l’accélérateur. Doucement. La gorge de Laurent se serre à mesure que l’auto descend l’allée vers la grand-route. Pourvu qu’on ne le remarque pas trop ! C’est déjà de la folie de prendre le volant lorsqu’on ne sait pas conduire. Ça devient de la folie furieuse quand on n’a que treize ans !
À peine les pneus ont-ils touchés l’asphalte qu’un bruit de klaxon fait sursauter le jeune conducteur. Il écrase la pédale de frein, la poitrine aussitôt comprimée par la ceinture de sécurité. Une jeep le contourne en crissant des pneus. Sous le regard furieux de la conductrice, Laurent rentre la tête dans les épaules. Il n’a regardé qu’à droite avant d’amorcer son virage à gauche. Il voudrait déjà fuir son véhicule, mais le lance plutôt sur la grand-route. Il n’a pas le choix. C’est une question de vie ou de mort.
http://www.cybersciences-junior.org/recits/7/1.asp

Les termes soulignés sont des liens qui conduisent vers des pages de vulgarisation. Prenons moteur :

Le moteur d’une grande révolution
Inventé il y a plus de 200 ans, le tout premier moteur fonctionnait... avec de l’eau !
Les moteurs rendent de bien grands services à l’être humain. Ils font fonctionner les voitures, les avions, les trains... Mais leur utilisation ne s’arrête pas aux moyens de transport. Les moteurs actionnent des machines industrielles, des appareils électroménagers et même des montres à aiguilles ! On en retrouve partout autour de nous. En fait, le principe d’un moteur est simple. Il s’agit d’une machine qui utilise une forme d’énergie et la transforme en énergie mécanique pour créer un mouvement. Dans une voiture, par exemple, c’est l’énergie chimique, libérée par la combustion de l’essence ou du diesel, qui est transformée en énergie mécanique et qui actionne les diverses composantes de l’automobile.
Peux-tu croire que le premier moteur fonctionnel a été inventé il y a plus de 200 ans ? C’est pourtant vrai. Il fonctionnait grâce à la pression de la vapeur d’eau. Le principe du moteur à vapeur est simple. On fait chauffer de l’eau avec un combustible, tel que le charbon par exemple. La vapeur produite fait monter et descendre un piston dans un cylindre. Le mouvement du piston entraîne à son tour d’autres pièces qui y sont reliées. La machine est en marche...
Le moteur à vapeur a été inventé grâce au travail de plusieurs personnes, mais les honneurs reviennent le plus souvent au Britannique James Watt (1736-1819). C’est lui qui a amélioré son efficacité en construisant, entre autres, un condenseur séparé de la machine principale. Avec les améliorations apportées par Watt, le moteur à vapeur a grandement contribué à la révolution industrielle du xixe siècle. Il a permis à toutes sortes de machines de fonctionner, facilitant ainsi le travail de l’être humain. Aujourd’hui, le moteur à vapeur a cédé sa place à des moteurs plus modernes comme le moteur à combustion et le moteur électrique.
http://www.cybersciences-junior.org/fiches/f123.asp

 

Ces quelques phénomènes linguistiques contemporains comme la démultiplication des sources énonciatives, le soulignement des lieux de reformulation, certaines formes textuelles nous montrent que les acteurs de la VS poursuivent la mission d’une diffusion pour le grand public par un élargissement des accès à la science. En effet, un texte dans lequel circulent plusieurs voix peut, grâce à plusieurs points de vue, éclairer le thème scientifique. Les parcours hypertextuels se présentent comme des grilles de lecture favorisant les approfondissements. Enfin, les formes d’écriture qui associent fiction et « fléchage » terminologique ou fiction et clés pour une relecture dans un cadre scientifique sont considérées comme plus abordables du fait de la fiction initiale. Ces différents aspects de l’écriture enrichissent l’éventail des formes de la transmission des connaissances.

Corpus (visité en septembre 2004) :

Bibliothèque virtuelle de périodiques
http://www.biblio.ntic.org/bouquinage.php ?ct=4&dw=500

Cahiers Sécheresse
http://www.auf.org/programmes/programme4/sites.html

CNRS, un exemple
http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/proprie/1atomMole.html

Cyber science junior
www.cybersciences-junior.org

Découvrir, la revue de la recherche
http://www.acfas.ca/decouvrir/

Info science
http://www.infoscience.fr/

INRA, par exemple
http://www.inra.fr/Internet/Directions/DIC/ACTUALITES/DOSSIERS/ogm.html#gloss

La Recherche
http://www.larecherche.fr/

L’attracteur
http://www.physique.usherb.ca/attracte/ et par exemple
http://www.physique.usherbrooke.ca/attracte/14-2003/Desaimantation_Adiabatique.htm

OGM et consommateurs
http://www.creaweb.fr/bv/ogm/

Protéines à la une
http://www.expasy.org/prolune/apropos.shtml

Science citoyen 
http://science-citoyen.u-strasbg.fr/

Science en ligne.com
http://www.sciences-en-ligne.com/Frames_Themes.asp

Sciences et Avenir
http://sciences.nouvelobs.com/

Science et Vie
http://www.science-et-vie.com/

Science infuse
http://www.sc.ucl.ac.be/scienceinfuse/index.html

SCIO, vulgarisation de physique
http://www.e-scio.net/relativite/

Transrural
http://www.transrural-initiatives.org/revues/ours.html

SMEL, Statistiques médicales en ligne
http://www.math-info.univ-paris5.fr/smel/

Bibliographie :

Authier-Revuz J., 1982, « La mise en scène de la communication dans des textes de vulgarisation scientifique », Langue française, 53, Larousse, p. 34-47.

Authier-Revuz J., 1992-1993, « Repères dans le champ du discours rapporté », L’information grammaticale, 55 et 56, p. 38-42 et p. 10-15.

Authier-Revuz J., Doury M., Reboul-Touré S. (éd.), 2003, Parler des mots - Le fait autonymique en discours, Paris, Presses Sorbonne nouvelle.

Babou I., 2004, Le cerveau vu par la télévision, Paris, PUF (Science, histoire & société).

Beacco J.-C., Claudel C., Doury M., Petit G. et Reboul-Touré S., 2002, « Science in media and social discourse : new channels of communication, new linguistics forms », Discourse Studies, 4 (3), p. 277-300.

Beacco J.-C., Moirand S., 1995, « Autour des discours de transmission des connaissances », Langages, 117, p. 32-53.

Beaune J.-C. 1988, « La vulgarisation scientifique. L’ombre des techniques », in D. Jacobi, B. Schiele (éd.), Vulgariser la scienceSeyssel, Éditions Champ Vallon (Milieux), p. 47-81.

Benveniste E., 1967-1974, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), t. I, t. II, p. 215-238.

Bouchardon S., 2002, « Hypertexte et art de l’ellipse d’après l’étude de NON-roman de Lucie de Boutiny », Les Cahiers du numérique, 3 (3), p. 65-86, http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000358.en.html

Charaudeau P., Maingueneau D. (dir.), 2002, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil.

Cusin-Berche F. (éd.), 2000, « Rencontres discursives entre sciences et politique dans les médias », Les Carnets du CEDISCOR, 6, Presses Sorbonne Nouvelle.

Existe-t-il une écriture web ? : http://www.redaction.be/editorial.htm

Fuchs C., 1982, La paraphrase, Paris, PUF (Linguistique nouvelle).

Guilbert L., Peytard J. (éd.), 1973, « Les vocabulaires techniques et scientifiques », Langue française, 17, Larousse.

Jacobi D. et Schiele B. (éd.), 1988, Vulgariser la science, Seyssel, Éditions Champ Vallon (Milieux).

Jeanneret Y., 2000, « Des médias, des sciences et des textes : régimes actuels de construction des objets et des paroles scientifiques, in F. Cusin-Berche (éd.), Les Carnets du CEDISCOR, 6, Presses Sorbonne Nouvelle, 2000, p. 199-216.

Képès S. et F., 2002, Dans le tourbillon de la vie, Paris, Éditions Le Pommier (Romans & plus).

Moirand S., 1998, « Dialogisme et circulation des savoirs », in F. Cabasino (éd.), Du dialogue au polylogue, Rome, DoRiF - Universitá, CISU, p. 123-139.

Moirand S., 2000, « Variations discursives dans deux situations contrastées de la presse ordinaire », in F. Cusin-Berche (éd.), Les Carnets du CEDISCOR, 6, Presses Sorbonne Nouvelle, p. 45-62.

Molino J., Soublin F. Tamine J., (1979), « Présentation : problèmes de la métaphore », Langages, 54, p. 5-40.

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[1] Entre autres, Jacobi et Schiele (1988, p. 85 et suiv.).

[2] Il y aurait une autre étape de la transmission, la divulgation qui, elle, peut faire apparaître des traces de vulgarisation mais dans un cadre discursif non spécifique : par exemple, dans la presse quotidienne, on ne s’attend pas à lire de la vulgarisation scientifique mais, selon les événements, des articles peuvent diffuser la science. Parler de « divulgation », nous permet ainsi de réserver le terme « vulgarisation » aux médias qui se consacrent totalement à cet axe.

[3] « La réénonciation de discours sources, élaborés par et pour des “spécialistes”, en discours seconds destinés à un large public » (Mortureux 1982, p. 3).

[4] « Le recours au dialogue relève d’une tradition ancienne [...], bon nombre de discours de vulgarisation se signalent par le fait qu’ils font dialoguer un homme - compétent - et une femme intelligente, curieuse et ignorante » (Mortureux 1982, p. 48).

[5] Notamment Jacobi et Schiele (1988, p. 13 et suiv.).

[6] Dans les revues de vulgarisation mais aussi dans la presse quotidienne. On rejoint ici les problèmes de délimitations de la vulgarisation avec certains « discours ordinaires ».

[7] Un locuteur peut modaliser sa propre énonciation en la présentant comme seconde : « il est malade, si j’en crois Luc » (Charaudeau, Maingueneau 2002, p. 191). Dans la VS, une des marques les plus fréquentes entraînant une modalisation en discours second est : « selon X ».

[8] « Dans la modalisation autonymique, on mêle emploi standard et emploi autonyme [...] Dans un énoncé comme “Sa passion pour ‘l’héroïque lutte des paysans’ a quelque chose de suspect”, le locuteur emploie l’“héroïque lutte des paysans” à la fois de manière autonyme et de manière standard : en effet, il cite “et” en même temps utilise cette expression, dont il se distancie en la rapportant à une autre source énonciative » (Charaudeau, Maingueneau 2002, p. 191-192).

[9] Mais pas pour autant révolu (Jeanneret 2000, p. 210).

[10] « En linguistique et en analyse du discours, la reformulation est une relation de paraphrase. Elle consiste à reprendre une donnée en utilisant une expression linguistique différente de celle employée pour la référenciation antérieure. Elle couvre les phénomènes d’anaphore, de chaîne de référence et de coréférence » (Charaudeau, Maingueneau 2002).

[11] Jacobi, Schiele 1988, p. 100 et suiv. ; Mortureux 1988, p. 135.

[12] « [La métaphore] est la possibilité de trouver de nouveaux sèmes communs », in Touratier 2000, p. 78 citant Molino, Soublin et Tamine (1979).

[13] L’hyperonyme est un mot dont le sens inclut celui d’autres mots : « fleur » est l’hyperonyme de « tulipe », de « rose », etc.

[14] On trouve d’ailleurs la définition suivante dans un dictionnaire usuel : « Biol. Cellule bactérienne ou végétale débarrassée de sa paroi cellulosique externe » (Petit Robert 1996).

[15] Ces marques ont été notamment étudiées dans « La reformulation du sens dans le discours », Langue française, 73, Larousse, 1987.

[16] Nous reproduisons le lien car la page peut ne plus être active.

[17] Nous ne retenons ici que l’écrit sans prendre en considération la dimension multimédia.


Citer cet article : Sandrine Reboul-Touré, « Écrire la vulgarisation scientifique aujourd’hui », colloque Sciences, Médias et Société, 15-17 juin 2004, Lyon, ENS-LSH, http://sciences-medias.ens-lsh.fr/article.php3 ?id_article=65

 

 
     
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