Actes du colloque

Programme Sciences, Communication & Société

Comités

Liens utiles

Contacts

Call for papers

 

  ENS Lettres et sciences humaines Communication culture et société


Éclairer le consentement : une étude de cas en épidémiologie génétique

Pascal DUCOURNAU
INSERM U 558 / CNRS /CERS

 


Article au format pdf


Mots-clés : consentement éclairé, génétique, banque d’ADN, éthique, risque.

 

Les banques d’ADN - acide désoxyribonucléique - constituées à des fins d’études épidémiologiques et d’élaboration d’une nouvelle forme de médecine - une « médecine prédictive » - connaissent depuis quelques années un fort développement, et on observe une multiplication de projets tant au plan national - le cas de l’Islande, où l’ensemble de la population a été sollicité pour participer au projet, étant le plus connu - que local - les banques créées concernent alors des ensembles populationnels plus réduits. Ces banques d’ADN sont au centre de différents débats éthiques qui portent notamment sur la question du consentement éclairé, norme à laquelle toute recherche biomédicale est censée se conformer depuis que différentes déclarations, codes et textes de loi l’ont clairement et explicitement édictée. Des critiques se sont ainsi fait jour à propos d’éventuels « détournements du consentement éclairé » (Bungener, Baszanger 2002) dans la mesure où les échantillons d’ADN prélevés peuvent être conservés pendant plusieurs années et être utilisés par exemple pour des recherches éloignées des finalités présentées au départ par les projets, finalités sur la base desquelles les participants ont accepté de coopérer. Cette règle du consentement éclairé fait l’objet dans le domaine de l’éthique de la recherche en génétique d’une valorisation particulière dans la mesure où elle est vue comme un « garde-fou » face à des dérives potentielles de la génétique humaine, comme un dispositif obligeant les chercheurs à respecter les choix des publics auxquels ils s’adressent et comme donnant à ces derniers la possibilité de maîtriser l’utilisation des éléments prélevés sur leur corps (Mongolfier 2002). Aussi, eu égard aux dimensions éthiques voire politiques en présence, l’enjeu paraît d’importance dans la détermination de ce qui peut être jugé comme un consentement éclairé valide, tant sur le fond - sur les informations que l’on peut tenir comme suffisamment « éclairantes », que sur la forme - à savoir sur ses modalités de recueil.

Cette norme du consentement se traduit dans la pratique par une procédure de communication entre l’équipe de recherche et la personne sollicitée, au cours de laquelle le participant potentiel se voit informé, à l’aide de supports écrits que l’on invite à lire (notice d’information) et de présentation orale, des buts, des modalités et des risques éventuels de l’étude. Ce dispositif pratique s’achève par la signature d’un formulaire de consentement éclairé, se rapprochant en cela des autres « rituels contemporains de l’autonomie » que sont les passations de contrats entre deux parties (Wolpe 1998). Un tel dispositif est censé permettre à la personne sollicitée de se déterminer sans contraintes et d’« être capable de mesurer l’effet de sa décision » comme cela a été inscrit dans le code de Nuremberg visant à encadrer toute recherche biomédicale, puis rappelé plus spécifiquement dans le cadre des recherches en génétique humaine comme par exemple par la Human Genome Organization (1996)[1] ou par des recommandations émanant d’instances éthiques à l’échelon national[2].

La conception de la prise de décision sous-jacente à cette norme du consentement et à son dispositif pratique de communication est proche de ce qui a pu être thématisé par Weber comme une « rationalité en finalité » : avant toute décision, l’action doit être ramenée à ses conséquences, ses risques, ses bénéfices ; ses effets doivent être évalués et l’action ne doit pas être engagée pour elle-même, mais être ordonnée à une finalité extérieure à elle-même. Les logiques d’action mobilisées par les personnes sollicitées pour participer à la recherche peuvent, comme nous allons le voir, parfois différer de ce cadre de rationalité attendu et proposé, tant en ce qui concerne la démarche de participation que les usages du dispositif présenté aux personnes. L’attention portée aux finalités et aux conséquences de l’action que réclame la philosophie du dispositif du consentement éclairé peut s’engager sur un registre où les conséquences proprement médicales et scientifiques de la recherche peuvent ne pas être évaluées. Par ailleurs, ces logiques d’actions peuvent s’exercer de telle manière que le dispositif de communication sur le risque n’est finalement pas perçu par les personnes comme apportant suffisamment d’informations ou d’« éclairage » sur les conséquences de l’action. Ces décalages entre logiques d’action et dispositif du consentement peuvent conduire à un questionnement sur les modalités de construction de ce dernier.

Nous avons réalisé un terrain d’enquête sur cette question du consentement éclairé dans le cadre des recherches en génétique humaine à l’occasion de la constitution d’une « banque d’ADN en population » à l’échelle locale - six cents personnes, en échange d’un bilan de santé cardio-vasculaire, ont été recrutées suite à un tirage au sort sur les listes électorales d’un département. Une autre banque du même type mais plus dans le cadre de la « population générale », s’est vue constituée et adjointe à cette première, en recueillant des informations provenant de patients hospitalisés pour des troubles cardio-vasculaires - six cents personnes là aussi ont été sollicitées. Ce projet de banques - projet GENES dans lequel est impliquée une unité INSERM d’Épidémiologie et de Santé publique de Toulouse) a pour but la mise au jour des interactions gènes-environnement dans la survenue de maladies cardio-vasculaires. Il s’agit, à terme, de déboucher sur la mise au point de tests génétiques permettant une meilleure prévention et prédiction de ce type de pathologies. Les personnes recrutées - des hommes uniquement, situés dans une tranche d’âge considérée comme étant à risque - étaient amenées, pour accorder leur consentement, à signer un document d’une page permettant de clairement valoriser une rationalité soucieuse d’une évaluation des conséquences de l’action et d’en attester la mise en œuvre[3]. La présentation de l’étude aux participants insistait sur le fait que les données recueillies ne seraient utilisées que dans le cadre des finalités présentées (étude des pathologies cardio-vasculaires) et que les résultats de l’analyse génétique ne concerneraient pas les échantillons d’ADN pris isolément. Aussi l’information communiquée mettait en avant le fait que le participant ne pouvait attendre de sa participation des résultats individuels concernant son génome. Ce dernier point a une importance particulière pour cette étude puisqu’il la distingue des « consultations génétiques » qui se développent actuellement dans de nombreuses spécialités médicales, où une part importante de la communication entre médecin et « patient » s’engage autour de la question du risque génétique de prédisposition et de la perception de ce type de risque. Le dispositif de communication soulignait en outre que les participants n’avaient pas à s’attendre à des risques corrélatifs à leur coopération, et que le seul risque que leur acceptation pouvait impliquer était celui d’une simple prise de sang. Des garanties de conservation de l’anonymat et de la confidentialité pour les données recueillies étaient apportées dans l’information communiquée qui rappelait que l’étude avait fait l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique - CNIL - et d’un accord auprès d’un Comité consultatif de protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale.

Après négociation avec l’équipe de recherche et les instances éthiques locales, nous avons pu assister à la passation du consentement puis interviewer une soixantaine de participants dans les jours qui suivaient leur entrée dans le protocole. Ces entretiens semi-directifs étaient structurés de telle manière que les participants puissent exposer les motifs de leur coopération, en faire la narration et aient la possibilité d’exposer leur point de vue tant sur la forme du dispositif du consentement rencontré (le rituel de signature notamment) que le contenu des informations qui leur avaient été délivrées.

Ces entretiens permettent de mettre en lumière des logiques d’action contrastées qui s’accordent de manière variable avec la forme de rationalité attendue et promue par le dispositif ainsi que des appréciations corrélatives contrastées de ce dernier notamment sur la question de la communication du risque.

Première figure de décalage avec le dispositif du consentement éclairé : des logiques de délégation de la décision et du savoir

Premièrement, il nous a été possible de remarquer qu’un certain nombre de participants endossaient un rôle fortement délégatif laissant, dans les cas les plus typiques, la question de la décision et de la compréhension des finalités de l’étude dans les « mains » des médecins et des chercheurs. Ainsi à un dispositif qui est censé placer l’individu en statut de « décideur rationnel informé », ces participants opposent de part leurs logiques de coopération des attitudes dans lesquelles 1) leur décision se présente comme découlant de l’avis des médecins et des chercheurs, et 2) la prise en compte des conséquences de l’action se situe à un niveau particulier de l’action dans lequel le participant « ne cherche pas à savoir ou à comprendre » l’objet de l’étude. Le fait de lire ou non la notice d’information, et de poser ou pas des questions comme le dispositif y invite le participant, peuvent constituer des indicateurs intéressants permettant d’évaluer le degré d’endossement d’un rôle de type délégatif. Quelques extraits d’entretiens illustratifs de ce type de logique coopérative peuvent être mobilisés :

Je ne l’ai pas lue [la notice d’information] parce que si vous l’avez jugé utile à connaître, il n’y avait pas de problème, j’étais d’accord. [...] Quand elle [le médecin] m’a dit de participer à ça, j’ai fait ça [...] et je me suis dit si elle le fait, c’est qu’il y a une raison pour elle. [...] Quelle est l’utilité pour moi de savoir ce à quoi ça va servir [l’ADN] ; j’ai pensé que ça pouvait être utile pour aider la recherche, pour améliorer les traitements, pour d’autres générations de médecins. [...] S’ils font ça, c’est qu’il y a une raison pour eux. Je pense que la raison pour eux de faire cette étude c’est la maladie cardio-vasculaire. Question : Et vous n’avez pas cherché à en savoir plus ? Réponse : Quand on fait confiance, on fait confiance. Si on vous tue tant pis. De toute façon, il faut faire confiance si on veut être soigné. (extraits d’entretien réalisé avec un participant)

Dans l’exposition discursive de ces attitudes délégatives quant au savoir et à la décision qui prennent à contre-pied le dispositif du consentement, se dégagent des conceptions de l’activité de production du savoir médical et scientifique fortement marquées par une division du travail et une asymétrie expert/profane qui viennent fonder en raison le fait de pas s’impliquer dans la compréhension des buts de la recherche. Il y a d’un côté ce qui est « utile » de savoir pour le participant profane et de l’autre ce qui l’est pour les acteurs biomédicaux. Le fait de « ne pas chercher à savoir » peut par ailleurs parfois se présenter sous les traits d’un réel désintérêt. Enfin, un sentiment de confiance envers la « médecine », la « recherche publique » (par opposition à la recherche privée) ou les « chercheurs », peut être mobilisé dans cette non prise en compte des finalités médicales et scientifiques de l’étude pour laquelle les personnes sont sollicitées. En effet, la confiance permet une sorte d’« économie cognitive » puisqu’elle conduit à ne pas s’attarder trop longuement sur les conséquences de l’action, de ne pas « se perdre » en spéculations diverses ; elle permet à la décision de se construire sur fond d’incertitude. Le participant ne connaît pas les finalités de la recherche mais fait confiance aux chercheurs pour la mener à bien :

Le fait de pas savoir pour quoi c’est cette recherche, je m’en fiche. [La fiche d’information], c’est trop long à lire. [...] J’ai quand même demandé si pour moi, ça pouvait poser quelques petites gênes, sûrement. Ça, c’est ce qui m’intéresse. Si on m’avait demandé de prendre des médicaments et de revenir tous les mois, là, je n’aurais pas forcément été d’accord [...] ; je n’irai pas approfondir pour voir si ce que je pense est vrai ou totalement faux à propos de la génétique. Il y a des médecins, ils sont là pour ça, moi je dis. Et alors après on a ou confiance en eux ou pas. [...] C’est du temps de perdu d’essayer d’être éclairé, ça ne sert à rien. [...] Je suis un bon participant, je ne pose pas de questions [...]. Moi j’ai donné, après les médecins, les chercheurs de faire le reste. (extraits d’entretien réalisé avec un participant)

La spéculation rationnelle sur les conséquences de la décision n’est évidemment pas absente des logiques d’action de ces participants dont nous venons de citer les propos - dans la narration de leur acceptation, les personnes font intervenir des considérations relatives aux conséquences, du type : « il n’y avait pas de médicaments à tester », « c’était juste une prise de sang », « le fait qu’on prenne l’ADN ne me dérangeait pas dans la mesure où je ne suis pas recherché » -, mais elle s’engage sur un champ de savoir et de compétence qui est défini par une conception particulière du rapport spécialiste/non-spécialiste. Cette conception amène les personnes à faire preuve d’une relative « ignorance volontaire » des finalités de l’étude, chose qui n’est habituellement pas prise en compte dans les investigations menées dans le champ de l’éthique biomédicale où, d’une part, on tente plutôt de mesurer le degré de compréhension des protocoles par les profanes pour faire remarquer que l’information délivrée par les acteurs biomédicaux est finalement faiblement intégrée par les participants, et où d’autre part, on propose d’accroître le degré d’« éclairage » des personnes par la mise en place de dispositifs éducatifs et pédagogiques (Woodward 1979, Morrow 1980, Moutel et al. 2001, Annas 2001).

Deuxième figure de décalage : un dispositif du consentement éclairé dépassé par une logique spéculative

À ce profil de participants qui ne prennent pas en compte les finalités médicales et scientifiques de la recherche - profil qui représente un tiers environ des personnes interviewées -, s’opposent un ensemble de participants (représentant environ un quart des personnes interviewées) qui, eux, font part d’interrogations à propos des finalités des études en génétique en général ainsi que de celles de l’étude pour laquelle ils ont été sollicités plus particulièrement[4]. Leurs réactions vis-à-vis du dispositif du consentement peuvent être de plusieurs ordres, notamment en ce qui concerne la procédure de signature de la fiche de consentement. Loin d’y voir un rituel de l’autonomie ou de la liberté de choix, ils disent y déceler une manière de contraindre éventuellement le participant à ne « plus avoir de recours après » au cas où l’« affaire tournerait mal », ou encore une manière pour les acteurs biomédicaux de se « décharger de toutes les conséquences » en disant que « personne ne vous a forcé » (Ducournau 2004). L’exposition des buts de l’étude, des modalités et des finalités d’utilisation de la banque d’ADN dans le dispositif de communication ne parvient pas à satisfaire toutes leurs attentes de compréhension. Ces participants sont fortement éloignés, dans leurs conceptions des relations experts/profanes, des représentations en terme d’asymétrie fondamentale et de division du travail que nous avons précédemment présentées. Ils déclarent par exemple avoir saisi l’occasion de participer à la recherche en génétique pour pouvoir s’impliquer dans un domaine qu’ils disent ne pas vouloir laisser aux spécialistes : « Je me suis dit : si je ne participe pas, si je ne consens pas, en disant ce que j’ai à dire, il n’y a pas de traduction de ma pensée quelque part » - participant ayant fait état de ses questionnements sur les risques et les incertitudes de la génétique au médecin-recruteur.

Ces participants engagent une telle réflexion sur les conséquences de l’action qu’ils devancent finalement le dispositif de communication dans sa capacité à apporter des informations perçues comme nécessaires eu égard à la question des risques. Les doutes de ces participants s’articulent autour des thématiques du respect de la confidentialité des données conservées dans la banque, du « fichage » et des manipulations génétiques, du clonage, de l’eugénisme et de l’utilisation des recherches dans un but qui pourrait éventuellement se révéler commercial. Dans ces cas de figure de questionnements, l’évaluation rationnelle des conséquences de l’action devient telle qu’elle s’en prend à la rationalité médicale et scientifique. La rationalité entre alors dans une « ère spéculative » sur les risques, sur ce qui ne peut être vu, ère dans laquelle on détache les modes de pensée et de représentation de leur connexion avec le monde visible (Beck 2001, p. 133).

Ainsi, un de ces participants narre le moment où il a reçu la notice d’information :

On comprend en lisant le courrier que effectivement il y a un prélèvement et qu’il y aura une banque de gènes qui sera fait. Là, il y a une interrogation, c’est assez flou dans la présentation du courrier et dans les explications que peut donner le médecin sur place ; comment va être utilisé cet échantillonnage ? On a un peu de mal à comprendre comment l’ADN va être utilisé, si c’est pour une utilisation dans une très longue durée ou euh et quelle est la finalité de ce stockage... On a l’impression que c’est un peu de la science-fiction ; [...] c’est des interrogations sur qu’est-ce qu’on peut faire avec ce matériau, qu’est-ce qu’on peut imaginer... Et l’imagination travaille beaucoup... puisqu’on a ces histoires de clonage, de manipulation et autre. (extraits d’entretien réalisé avec un participant)

Ou encore :

Eux, ils se couvrent comme quoi moi j’ai donné l’autorisation... Bêh, je parle de la médecine, de la science, hein... Eux, ils sont couverts étant donné que moi j’ai accepté. Mais, j’ai accepté à une seule condition : que ça ne sorte pas du milieu médical. Mais là, je n’ai pas de preuve en fait [...] de l’itinéraire de mon ADN. (extraits d’entretien réalisé avec un participant)

Ce type de perception du dispositif du consentement éclairé peut se comprendre, nous semble-t-il, en faisant intervenir le fait que les participants sont amenés à donner leur accord à l’intérieur d’un cadre prédéfini n’ayant jamais lui-même fait l’objet d’une discussion préalable. Comme le rappelle Cresson (2000) dans le cadre beaucoup plus général du contrat médical, ce sont les médecins qui habituellement en expriment la définition, mais on ne se soucie guère de celle que pourraient en produire les patients. La situation concernant les banques d’ADN relativement à la définition des modalités de recueil du consentement éclairé tout autant que des informations qui peuvent être tenues pour « éclairantes », est similaire. Si des comités d’éthiques avalisent les protocoles et les procédures de consentement employées, et instaurent donc une sorte de médiation entre participants et acteurs biomédicaux, il n’en demeure pas moins que ces derniers ne peuvent, à notre connaissance, intervenir à aucun moment que ce soit sur la définition du cadre dans lequel ils sont amenés à consentir.

Conclusion : démocratiser l’« expertise éthique » dans les projets de banque d’ADN, une entreprise complexe

En conclusion, comme nous avons essayé de le souligner, les logiques de coopération dans lesquelles se situent les personnes peuvent se révéler être en décalage avec un dispositif qui tente de faire advenir une figure du participant qui ne prendrait sa décision qu’après une prise en compte des finalités médicales et scientifiques des études pour lesquelles on le sollicite. Par ailleurs, dans les cas où on observe des attitudes moins délégatives, cette prise en compte des finalités peut être telle qu’elle débouche finalement sur la perception de risques relatifs aux conséquences des recherches en génétique humaine impliquant la constitution de banques d’ADN, perception de risques que ne permet pas de circonscrire pleinement le dispositif de consentement éclairé observé.

Ces résultats questionnent finalement le dispositif du consentement éclairé utilisé dans le cadre de la recherche en génétique étudiée, mais qui s’applique aussi de manière générale à de nombreux autres projets de biobanques. Une manière de rendre compte des décalages relevés consiste à faire remarquer que les procédures d’encadrement éthique de la recherche biomédicale et de la recherche en génétique plus particulièrement, sont définies dans un cadre « juridico-médicocentré » qui conduit d’une part à construire une figure de la personne se comportant comme un sujet rationnel, spéculant sur les finalités médicales et scientifiques de la recherche, et d’autre part à préformater le cadre dans lequel peut s’exercercette prise en compte des conséquences de l’action. Ouvrir la définition du consentement éclairé et de ses modalités de mise en œuvre à des discussions publiques permettrait sûrement de réduire les décalages relevés. La mise en débat public des dispositifs éthiques tels que celui du consentement éclairé conduirait à une certaine démocratisation de l’« expertise éthique », mais il faudrait compter sur d’éventuelles résistances, y compris parmi les publics de la recherche biomédicale, à rentrer dans ces espaces de discussion dans la mesure où ces derniers peuvent y voir le risque d’une régression pour la recherche biomédicale, ce qui les conduit à justifier le dispositif de consentement éclairé existant :

Oh éclairé, je ne l’étais pas trop. [...] Si vous faites un cours en rassemblant tous les gars dans une salle, là vous êtes éclairé, « Qui est-ce qui a des questions à poser ? » bon très bien... Mais après ça, je les comprends fort bien de ne pas faire des choses pareilles. Parce que... je vais vous dire mais plus vous en dites aux gens et plus vous avez des gens qui se mettent à dire « oui, mais » et plus vous avez de réticents à la fin. Donc voilà, on leur dit « Vous ne risquez rien, c’est pour ça, vous acceptez, vous acceptez pas ». C’est suffisant. (extrait d’entretien réalisé avec un participant)

À l’évidence, la construction d’un espace de discussion sur les modalités et la définition du consentement éclairé ne va pas de soi et devra prendre en compte des positions opposées voire antagonistes. Pour cela, des compromis et des passages entre plusieurs registres de justifications (Boltanski, Thévenot 1991) a priori concurrentes devront à coup sûr être élaborés.

Bibliographie

Annas G. J., 2001, « Reforming informed consent to genetic research », Journal of American Medical Association, 286, p. 2326-2328.

Beck U., 2001, La société du risque, Paris, Aubier (Alto).

Boltanski L., Thévenot L., 1991, De la justification, Paris, Gallimard (Nrf Essais).

Bungener M., Baszanger I., 2002, Quelle médecine voulons-nous ?, Paris, La Dispute (États des lieux).

Cresson G., 2000, « La confiance dans la relation médecin-patient », in G. Cresson, F.-X. Schweyer (éd.), Les usagers du système de soins, Rennes, Éditions de l’École nationale de Santé publique (Recherche Santé Social), p. 333-350.

Ducournau P., 2004, « Le consentement à la recherche en génétique humaine : entre dispositif justifié et conflits de valeurs », in F.-X. Schweyer, G. Cresson, S. Pennec (éd.), Normes et valeurs dans le champ de la santé, Rennes, Éditions de l’École nationale de Santé publique (Recherche Santé Social), p. 280-289.

Montgolfier S (de), 2002, « Collecte, stockage et utilisation des produits du corps humain dans le cadre des recherches en génétique : états des lieux, historique, éthique et juridique », thèse de doctorat, Paris, université René Descartes, faculté de Médecine de Necker.

Morrow G. R., 1980, « How readable are subject informed consent forms ? », Journal of American Medical Association, 1, p. 244, 56-8.

Moutel G., Montgolfier S. (de), Meningaud J.P. et Herve C., 2001, « Bio-libraries and DNA storage : assessment of patient perception of information », Medicine and law, 20 (2), p. 193-204.

Wolpe P. R., 1998,. « The triumph of autonomy in american bioethic : a sociological view », in : R. DeVries, J. Sudebi, Bioethics and Society, Upper Saddle River, Prentice Hall, p. 38-59.

Woodward W., 1979, « Informed consent of volunteers : a direct measurement of comprehension and retention of information », Clinical Research, 27, p. 248-249.

Weber M., 1971, Économie et société, Paris, Plon.


[1] An understanding of the nature of the research, the risks and benefits, and any alternatives is crucial, http://www.gene.ucl.ac.uk/hugo/conduct.htm

[2] Par exemple : l’avis n° 77 du Comité consultatif national d’éthique (Problèmeséthiquesposésparlescollections de matériel biologique et les données d’information associées : « biobanques », « biothèques », 2004), rappelle ainsi que « donner un consentement est loin de constituer une précaution éthique absolue ; quelques études peuvent être éthiquement ambiguës (par exemple, recherche d’un gène comportemental touchant la vie sexuelle, etc.). L’information indispensable à un tel consentement qui sera fournie par les instigateurs de la recherche doit donc comprendre [entre autres] : la description du but de la recherche, rappelant l’état des connaissances, [...] la description des conséquences envisageables de la recherche sur le plan du diagnostic, de la prévention, de la thérapie, en précisant ce que pourraient être les conséquences pour les personnes participant à l’étude ». Ou encore, la recommandation n° 9 du National Bioethics Advisory Commission (« Report on research involving human biological materials : ethical issues and policy guidance », 1999) : « Les formulaires de consentement devraient être développés de telle manière à ce qu’ils puissent apporter aux potentiels participants un nombre suffisant d’options pour les aider à clairement comprendre la nature de la décision qu’ils s’apprêtent à faire. »

[3] Afin de bien s’assurer que le participant donne son consentement consécutivement à une prise en compte des finalités et des conséquences de l’étude pour laquelle il est sollicité, il est écrit à la fin de la fiche : « Après avoir lu la notice d’information, en avoir discuté et obtenu les réponses à toutes mes questions, j’accepte librement et volontairement de participer à l’étude sur les maladies cardio-vasculaires, à la constitution de la banque d’ADN, aux entretiens sociologiques. » Le participant a alors le choix entre cocher des cases « oui » ou des cases « non ». Pour finir, il écrit « Lu et approuvé » avant de signer et dater. Le médecin quant à lui signe aussi le document « pour l’investigateur » dans un emplacement réservé à cet effet, situé avant la signature du participant.

[4] Entre ces deux groupes de participants, on rencontre un troisième profil de personnes, composant un peu plus d’un tiers de notre échantillon, qui font preuve d’une prise en compte des finalités médicales et scientifiques de l’étude tout en n’ayant pas d’interrogations particulières à leur propos.


Citer cet article : Pascal Ducournau, « Éclairer le consentement. Une étude de cas en épidémiologie génétique », colloque Sciences, Médias et Société, 15-17 juin 2004, Lyon, ENS-LSH, http://sciences-medias.ens-lsh.fr/article.php3 ?id_article=66

 

 
     
Retour à l'accueil Présentation Appel à communication